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  • Ceci n’est pas un ring : petit manifeste pour une démocratie féconde

    Ceci n’est pas un ring : petit manifeste pour une démocratie féconde

    A ma droite, Marcel Gauchet, cofondateur de la revue Le Débat, et à ma gauche, Eugénie Mérieau, constitutionaliste et maître de conférences à Panthéon-Sorbonne. Telle pourrait être l’affiche du combat opposant ces deux intellectuels de la catégorie poids-lourds.

    Et au final, défaite de… la démocratie, dont ni l’un ni l’autre n’ont su tracer les contours d’un renouveau (qui veut en juger par lui-même peut visionner le débat ici).

    Mais c’est le dispositif du débat qu’il faut mettre en cause, et non les combattants. Un dispositif qui force la parole à contrer celle de l’autre. Dans un tel cadre, qui s’apparente à celui d’un ring, aucune voie nouvelle ne peut émerger.

    Et pour cause : 𝑙’𝑒́𝑚𝑒𝑟𝑔𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑛’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑙𝑒 𝑓𝑎𝑖𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝑖𝑛𝑑𝑖𝑣𝑖𝑑𝑢𝑠 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑑𝑒 𝑙’𝑖𝑛𝑑𝑖𝑣𝑖𝑑𝑢 𝑞𝑢’𝑖𝑙𝑠 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑜𝑠𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑛𝑠𝑒𝑚𝑏𝑙𝑒.

    Prenons l’exemple de l’émergence de la théorie quantique. Selon la physicienne Mioara Mugur-Schächter, « c’est la situation cognitive qui a orchestré la construction de la mécanique quantique. Placée sur un niveau supra individuel, intersubjectif, elle a remplacé d’une manière implicite le contrôle unificateur conceptuel-logique qui d’habitude fonctionne explicitement à l’intérieur d’un seul esprit novateur. Omniprésente d’une manière extérieure et neutre, elle a agi comme un organisateur et un co-ordinateur. »

    Avec, à la clé, une efficacité et une fécondité redoutable de la théorie quantique. Une telle efficacité qu’on serait en droit de se demander : par quelle magie ? Par la magie, qui n’en est pas une, d’une articulation de savoirs mutuellement contradictoires (en l’espèce, la mécanique classique et la théorie des champs électromagnétiques).

    Or, n’est-ce pas là le principe même de la démocratie ? La démocratie ne vise-t-elle pas à faire s’accorder des individus dont les points de vue divergent ?

    Si l’on s’accorde sur cette finalité, alors le débat doit faire place à un dispositif reposant sur la logique mise au jour par les théoriciens quantiques. Une logique qui n’est pas binaire, qui ne proclame pas de vainqueur, et qui permet de faire tenir ensemble des propositions contradictoires ; en somme, une logique du « en même temps » (et non son imposture).

    Mettre en œuvre cette logique nécessite de renoncer au « vrai » de l’universel abstrait des hommes de science afin de renouer avec le vrai de l’universel concret et vécu des hommes en situation.

    Dire cela, ce n’est pas céder au relativisme, à la post-vérité, mais c’est au contraire remettre la vérité au centre du « village » ; non pas pour en faire l’objet d’un débat mais pour en faire le critère d’une composition proprement artistique, composition dont le collectif « village » en sera l’actualisation.

    Car à vrai dire, la vérité est un critère, non un savoir. Aucune formule ne peut la contenir. Mais elle est l’aiguillon, le critère absolu, qui nous mène à elle, tant et si bien que fin et moyen se confondent en elle. Comme le dit à juste titre l’essayiste Deshusses, « si je disais ce qu’est la vérité, il faudrait que ma réponse soit vraie » ; mais en vertu de quoi sinon d’elle, dont chacun d’entre nous a l’intuition au regard de la situation concrète qu’il vit ?

    On me rétorquera, à raison, que la vérité dont nous avons l’intuition peut être fausse. Certes, à ceci près que le contraire de la vérité n’est pas l’erreur mais le mensonge. « Le mathématicien qui se trompe n’est pas un menteur : son but était la vérité. Le menteur est un salaud : son but était l’erreur. »

    Une fois dit cela, on comprend que c’est la vérité en tant que critère, et non la vérité formulée, qui permet aux gens de s’accorder entre eux, et d’être, à ce titre, d’authentiques démocrates dont les volontés s’articulent à la volonté générale qui, en aucun cas, n’est la résultante d’un vote mais émerge des paroles et actions « en vérité » de chacun.

    L’enjeu n’est pas moral (même si la morale a tout à y gagner) mais existentiel dans la mesure où il en va de l’efficacité et de la prospérité du collectif.