Episode 1

Les rues, autrefois vivantes, résonnent désormais d’un silence mécanique, ponctué par le bourdonnement incessant des drones qui scrutent le ciel, leurs yeux froids capturant chaque mouvement, chaque écart. Les écrans, omniprésents, crachent une lumière blafarde, diffusant des vérités préfabriquées que personne n’ose contester, de peur de disparaître dans l’éther numérique.

Chaque mouvement, chaque parole, chaque frémissement de nos paupières est capté, analysé, monétisé. Les algorithmes savent ce que nous désirons avant même que nous en ayons conscience. Ils nous nourrissent de divertissements infinis, de colères soigneusement dosées, de bonheurs synthétiques.

Les visages se ressemblent tous, lissés par les mêmes filtres, sourires calibrés pour des audiences invisibles. Nous parlons en hashtags, en phrases tronquées, en émoticônes qui remplacent les larmes. La vérité ? Une option personnalisable, ajustée en fonction de nos bulles.

Les corps sont libres, mais les esprits sont enchaînés. Les mots ont perdu leur poids, noyés dans un océan de contenus vides. Nous parlons sans rien dire, écoutons sans entendre. Les amitiés se mesurent en likes, les révoltes en hashtags éphémères.

Une part de nous aime ça : elle est accro aux notifications qui lui donne l’illusion d’exister.
Une part de nous déteste ça, et se tourne vers des hommes en costume sombre, à la mâchoire crispée, et aux discours simplistes : «Je vous rendrai votre puissance», promettent-ils. Le « rebelle » en nous applaudit : «Enfin, quelqu’un qui agit.» Ces nouveaux sauveurs parlent de frontières, de pureté, de lois impitoyables. Ils pointent du doigt les migrants, les élites, les « wokes », les algorithmes.

Chaque jour, l’horizon s’obscurcit un peu plus. Les ressources s’amenuisent, avalées par une machine insatiable qui dévore tout – eau, terre, espoir.
Et pourtant, au milieu de ce cauchemar, une tension sourde persiste, comme une étincelle prête à jaillir. Car dans l’ombre, certains murmurent encore, leurs mots acérés comme des lames…


C’est à cet instant qu’une femme te fixe du regard et t’adresse la parole, t’interrompant dans tes pensées.

«Tu les entends, ces voix ?» murmure-t-elle, assez bas pour échapper aux micros.

«Pas celles des haut-parleurs, pas celles des influenceurs ou des politiciens de pacotille. Les vraies. Celles qu’on étouffe sous les slogans et les promesses vides.»

Elle se rapproche, son souffle chaud contre ton oreille.

« Ils veulent qu’on s’imagine que tout est perdu. Qu’on baisse la tête, qu’on avale leurs mensonges en souriant. Mais regarde autour de toi : leurs murs se lézardent. Et nous… nous sommes encore capables de penser.»

Sa main se referme sur ton poignet, un geste à la fois urgent et protecteur.

«Ils te surveillent, mais ils ne te voient pas. Personne ne regarde vraiment. C’est là qu’on frappe. Pas avec des armes – avec des idées. Des mots qui brûlent. Des vérités qui se répandent comme un virus.»

Un sourire froid glisse sur ses lèvres.

«Alors, tu fais quoi ? Tu restes là à scroller jusqu’à l’extinction, ou tu viens avec moi écrire la fin de leur histoire ?»

Dans le lointain, un drone bourdonne. Elle ne lève même pas les yeux, te glisse un morceau de papier dans la main et s’en va.